Les chéris de Madame Brouillette. Par Isabelle Légaré, Le nouvelliste

AngèleBrouillette

 

Elle est comme ça, Madame Angèle. Outre le fait que la dame de 82 printemps s’imagine à tort que les gens heureux n’ont pas d’histoire, tous ceux et celles qui passent un jour dans sa vie doivent s’attendre à devenir son beau, sa belle, son ange, sa jolie, son chéri…

Homme ou femme, jeune ou vieux, patron ou employé, médecin ou préposé, chroniqueuse ou photographe, sa gentillesse s’adresse à chacun, sans exception. D’ailleurs, il est fort probable que si vous faites sa connaissance, elle ne tardera pas à vous surnommer «mon petit minou»…

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La première fois, ça surprend quand même un peu, mais on y prend goût rapidement, comme pour les chocolats et autres douceurs qu’elle partage en quantité.

Je ne crois pas que ma nouvelle amie le réalise pleinement, mais tous ces élans de tendresse qu’elle distribue avec enthousiasme détonnent ces jours-ci.

Appelons un chat un chat. À l’ère des réseaux sociaux, des attaques verbales et gratuites, les termes en vogue dans l’espace public commencent trop souvent par «in», comme dans insultes et incivilités.

Madame Angèle est à des années-lumière du cynisme ambiant.

«Je parle avec mon cœur!»

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Avec, aussi, papier et crayon, en prenant le temps de trouver les mots qui sauront faire plaisir à chacun.

Au cours des vingt dernières années, cette retraitée de l’enseignement a créé quelque 3500 cartes personnalisées pour les gens qui ont croisé sa route. Et ça continue.

Angèle Brouillette est la gentillesse réincarnée. Quand elle aime, c’est pour toujours. (Stéphane Lessard/Le Nouvelliste)

«J’aime les gens!»

En disant cela, Angèle Brouillette ne m’apprend rien entre deux salutations adressées à ses voisins de la résidence Place Belvédère, à Trois-Rivières. Ici comme ailleurs, elle n’a pas besoin de présentation. Tu ne fais pas 40 ans de bénévolat ni une carrière dans l’enseignement sans laisser une trace indélébile.

Brouillette est le nom de Gilles, son mari et «plus-que-chéri», me dit-elle avec des étoiles dans les yeux.

Ils se sont rencontrés à l’âge de 14 ans, pendant une partie de ping-pong. Angèle était une petite Courchesne de Drummondville en visite chez sa tante de Cap-de-la-Madeleine, une femme qui se trouvait être une amie de la mère du garçon pour qui la jeune fille a eu le béguin.

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Depuis le premier soir, on est comme ça!», révèle l’octogénaire en entrecroisant solidement ses deux index. «Ça fait presque 70 ans! Si j’avais une autre vie à vivre, c’est avec lui que je voudrais la passer.»

Son beau Gilles est un romantique. Depuis toujours, toutes les occasions sont bonnes pour offrir des fleurs à sa chère Angèle qui nous en fait également profiter. Je vous expliquerai comment plus tard parce qu’à ce stade-ci de notre conversation, elle tient à me dire à quel point la vie a été bonne pour elle.

«Tellement!», persiste et signe la mère de trois enfants et, sans nul doute, la maman de cœur de plusieurs écoliers du primaire.

«Ah! Mes p’tits choux! Mes amours!», s’exclame la dame qui demandait aux enfants de la saluer d’un beau «Allo Angèle!» avant de s’assoir à leur pupitre.

Apprendre à dire «Bonjour» n’est pas anodin. Ça vient généralement avec un sourire qui ouvre la porte au «Comment ça va?». Mine de rien, Madame Angèle enseignait l’ABC de la bienveillance avant que ça devienne un mot à la mode.

«C’était facile de les aimer», dit-elle au sujet de ses élèves à qui elle se faisait un devoir de complimenter à tour de rôle. À 8 ans, se faire répéter qu’on a de beaux yeux ou que nos cheveux sont joliment frisés, ça améliore l’estime de soi et augmente les chances de réussite.

Angèle Brouillette n’offre pas des cartes déjà toutes faites. Elle y met du temps et toute son affection. (Stéphane Lessard/Le Nouvelliste)

Je mentionnais précédemment que le bien-aimé d’Angèle Brouillette s’est toujours plu à lui offrir de jolis bouquets, comme ça, pour tout et pour rien.

Consciente de sa chance, la femme les a immortalisés avec son inséparable tablette électronique ou son indispensable téléphone intelligent. On a affaire ici à une madame techno. «Une accro!», précise celle qui n’est pas peu fière d’étaler sur la table ses cartables remplis desdites photos.

C’est à partir de ces images qu’Angèle fabrique la bonté.

Depuis sa retraite de l’enseignement, en 2002, la femme s’amuse à acheter des cartes vierges sur lesquelles elle applique les photographies de fleurs reçues en abondance de son époux. Avec la même attention, Angèle se met ensuite à la rédaction de ses messages de remerciement, d’encouragement, d’appréciation, etc.

Elle ne s’en tient pas à une phrase ou deux reprises sur le web. Oh que non. Chaque destinataire a droit à un texte de son cru, puisé au fond de son cœur, comme lorsqu’elle a composé un poème pour honorer la mémoire de sa mère.

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Ce jour-là, sa fille a réalisé qu’elle avait du talent pour décrire les émotions, les siennes comme les nôtres.

Au fil des années, les 3500 cartes qu’elle a créées ont été envoyées à des personnes qui lui sont chères. Parmi elles, on retrouve des bénévoles avec qui cette femme engagée dans sa communauté n’a jamais compté ses heures. Des chanceux en ont reçu plus qu’une.

«Ils gardent mes cartes dans des boîtes à chaussures!», se réjouit celle qui note chaque envoi dans des petits cahiers d’exercices, comme ceux qu’utilisaient ses élèves de 2e année du primaire. Qui a reçu quoi et à quelle occasion. Sa rigueur est digne de mention.

Angèle Brouillette a la gratitude tatouée en elle. Toujours la jolie tournure de phrase pour toucher, y compris ceux qui ne s’y attendent probablement pas.

«Quel privilège d’avoir été la patiente d’un chirurgien dévoué, compréhensif et accueillant! Ces éléments unis font partie du rétablissement qui s’opère lentement, mais graduellement en moi», écrivait-elle il y a dix ans au médecin qui l’a aidée à combattre un cancer.

«Quel bonheur de m’être sentie accueillie avec autant d’empressement à la salle à manger…», soulignait encore récemment cette adorable résidente à une employée de Place Belvédère.

De monsieur le directeur à la préposée aux bénéficiaires en passant par le responsable de l’entretien ménager, plusieurs ont déjà eu droit à une carte de Madame Angèle. Ou ça ne devrait tarder.

Ils sont ses chéris, ses choux, ses minous…

«Les p’tits mots doux sortent tout seuls!», acquiesce en riant la signataire de ces innombrables messages qui font autant de bien à ceux qui les reçoivent qu’à celle qui les écrit.

 

 

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