La mort d’une fillette de 7 ans, martyrisée par ses parents : une analyse d’un système défaillant

 

État de situation

Le Québec est sous le choc, il n’a su protéger une fillette de 7 ans martyrisée par ses parents et morte des suites de ses blessures. Elle a passé à travers les mailles du filet de sécurité des services de la Direction de la protection de jeunesse (DPJ).

Il faut bien s’entendre, c’était un cas lourd et complexe pris en charge depuis plusieurs années. Les faiblesses du système de protection ont permis à la dynamique de la famille proche et élargie de l’enfant d’avoir le dessus sur un système affaibli par plusieurs facteurs en cause. Ce système comprend les politiques gouvernementales (la loi de la protection de la jeunesse),  la justice (les avocats à l’Aide à la jeunesse), la DPJ, l’école que fréquentait l’enfant, ainsi que les services médicaux et sociaux.

Soulignons qu’il y a quelque 100 000 signalements par année à la DPJ. Une augmentation très importante ces dernières années. Que se passe-t-il dans nos familles québécoises pour que ce taux de signalement soit aussi élevé et augmente d’année en année. Mis à part l’explication  que de plus en plus de personnes se soucient de signaler des cas à la DPJ.

La mort de cette fillette de 7 ans est dramatique et devient un électrochoc pour tout le Québec. C’est un cas extrême, qui va servir de déclencheur pour analyser l’ensemble du système. Il est important de comprendre qu’il en existe des centaines d’autres cas qui sans mourir,  restent mal protégés. D’autre part, certains mentionnent que des milliers d’enfants et d’adolescents sont sauvés par le système, malgré ses faiblesses. Reste que la situation demande de prendre le temps de faire le point, d’analyser en profondeur notre système de protection qui finalement protège mal certains de nos enfants.

Analyse du système défaillant

Qu’on échappe une enfant et qu’elle finisse par mourir de maltraitance ne peut être attribué à une seule cause. C’est tout le système de protection de l’enfance qui est en péril, qui est en cause.

Ce n’est pas une situation nouvelle, une remise en cause de la DPJ fait partie du paysage québécois depuis des années. Lorsqu’on lit sur le sujet, on se rend compte qu’avec le temps les problèmes ont empiré.

Plusieurs facteurs sont pointés du doigt, en voici quelques-uns parmi les plus importants :

  • Les coupures financières dans le domaine de la santé et des services sociaux ont provoqué des conséquences négatives sur les services aux populations vulnérables.

  • La disparité des services selon les régions a mis en péril certaines régions moins bien servies.

  • La quantité énorme de cas à traiter, la lourdeur et la complexité des problèmes ont augmenté d’année en année.

  • Les conditions de travail très difficiles des intervenants qui doivent assumer une trop grande quantité de dossiers; le manque de supervision clinique;  la difficulté à recruter des intervenants qui sont de plus en plus jeunes et sans expérience pour faire face à la complexité des cas;  l’épuisement professionnel des intervenants qui les amène à quitter ce domaine de pratique et qui a pour conséquence de provoquer un taux de roulement du personnel qui empêche une vraie prise en charge des enfants, des adolescents et de leurs familles. Le lien de confiance étant très difficile à établir lorsqu’il n’y n’a pas de stabilité dans le personnel responsable du dossier.

  • La réforme du réseau de la santé et des services sociaux amenée par le PL-10. Ce qui a entrainé un bouleversement dans les équipes de gestion des services sociaux, dont la DPJ, et une perte importante de l’expertise acquise durant plusieurs années.

  • Dans cette réforme, l’intégration des services sociaux au système de santé qui en plus d’être le parent pauvre du système, s’appauvrit encore plus – le Gros mange le petit. Les services sociaux et la santé mentale sont les parents pauvres du système.

  • Une conception de la gestion axée sur les résultats (GAR) dans une approche tayloriste que certains appellent la gestion industrielle déshumanise les soins. « La fameuse approche Lean, nouvelle bible de gestion des services de santé et services sociaux, qui a gagné progressivement du terrain » (propos utilisés par une ex-DPJ – Danielle Tremblay). Qui dans bien des situations empêchait de maintenir la primauté des enjeux cliniques. Cette approche de gestion met les intervenants sociaux en conflit de loyauté – répondre aux réels besoins cliniques de la clientèle en étant déchirés par la pression au rendement, à la productivité, à la performance, à l’efficience.

  • Une idéologie de pratique qui pousse à laisser l’enfant dans son milieu familial à tout prix, parfois au péril de sa santé et de son développement lorsque les services d’encadrement de la famille et de l’enfant ne sont pas au rendez-vous.

  • Une réduction des milieux spécialisés pour l’enfance en grande difficulté (écoles spécialisées, autres ressources spécialisées pour enfant) avec l’idéologie du virage milieu.

Solutions

  • Sortir les services sociaux du giron de la santé et du modèle médical. Donner une plus grande autonomie et un financement protégé aux services sociaux.

  • Augmenter les ressources professionnelles dans le domaine des services sociaux et de la DPJ.

  • Offrir des conditions de travail moins stressantes et professionnellement plus intéressantes aux intervenants sociaux. Ce qui va favoriser à diminuer le roulement du personnel.

  • Offrir de la supervision professionnelle et l’occasion de travailler en équipe multidisciplinaire aux intervenants sociaux.

  • Ramener à l’avant une approche de gestion basée sur des enjeux cliniques et non seulement sur la performance et les impératifs de gestion. S’éloigner de l’approche du modèle médical.

  • Si l’enfant est maintenu dans sa famille, s’assurer d’un suivi et d’un soutien thérapeutique aux parents et à l’enfant.

  • Pour les cas lourds et complexes, avoir des ressources spécialisées dans chaque région du Québec (école spécialisée – centre jeunesse spécialisé).

Texte d’une ex-directrice de la DPJ

https://www.lavoixdelest.ca/actualites/le-fil-groupe-capitales-medias/lettre-dune-ex-dpj-55a3bd68b40e48e15d22052c162863e5?utm_campaign=lavoixdelest&utm_medium=article_share&utm_source=facebook&fbclid=IwAR3qOv812pZ7zNvoKZDHOBC2TBNz49r5GbzvPgFQqFXkboIlzdYiwiPP_ZE

Deux  articles sur le vécu des travailleurs sociaux

https://www.lapresse.ca/actualites/201905/07/01-5225136-des-travaiCleurs-sociaux-en-grande-detresse.php

https://plus.lapresse.ca/screens/177658ee-17af-4031-a1cc-a189622649cc__7C___0.html?utm_campaign=201905071800-lpp-tuesday-aws&utm_source=newsletter-mardi&utm_medium=email

Analyse d’un psychoéducateur

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/553977/plaidoyer-en-faveur-de-la-bientraitance?fbclid=IwAR0HlYFb3ySoMcnmvaC4a-K4DUGChF9j7XHpzknts5FkSqhZXyTPms1r9Ro

 

3 réflexions au sujet de « La mort d’une fillette de 7 ans, martyrisée par ses parents : une analyse d’un système défaillant »

  1. Bonjour,
    Mille mercis pour ce partage, je trouve que c’est bien réfléchi, il y a beaucoup d’humain aussi du réalisme… juste que des points s’imposent, comme par exemple: comment pouvoir pratiquement « Ramener à l’avant une approche de gestion basée sur des enjeux cliniques et non seulement sur la performance et les impératifs de gestion. S’éloigner de l’approche du modèle médical »?
    À ma compréhension, l’un n’exclu pas l’autre, juste qu’il faut qu’il y est un travail de réseau au lieu que ça soit uniquement affaire de domaine et de spécialité.
    je pense aussi, que c’est un travail qui demande l’engagement empathique et non seulement un travail technique, c’est en se mettant à la place de l’autre, qu’on peut vraiment comprendre sa demande, son cri silencieux et ses blessure tacites, c’est un domaine très complexe (comme c’est dit dans le texte) encore une fois, c’est vraiment riche comme synthèse.

  2. De Hélène Harnois – membre du Groupe de codéveloppement de Trois-Rivières

    Merci beaucoup pour ton analyse qui nous incite à une profonde réflexion et qui nous donne un bon portrait de la situation. Elle nous fait voir plusieurs facettes et la complexité de la situation. Personnellement, j’aimerais ajouter, que je trouve trop facile que l’on attribue la cause souvent principale, au manque de ressources. Peut-être, mais il y a tellement d’autres facteurs que tu as si bien mentionnés. Tellement de facteurs inter-reliés. J’aimerais ajouter ou du moins que l’on questionne, les facteurs de : l’organisation du travail, des rapports sans fin et trop souvent inutiles, l’absence d’imputabilité, les délais quoi sont trop souvent dûs à l’inefficacité, etc.

    Merci et au plaisir,

  3. Regean Normandeau Merci Pierre, (et Geneviève Chenard )…
    Tout ce que tu écris et affirme est la solution ou les seules solutions à ce « trouble » que ces services vivent depuis plusieurs années. Il faut modifier les façons de faire et donner aux intervenants, oui la formation et le support clinique, mais oui aussi toutes les possibilités et les orientations nécessaires pour aider l’enfant en besoin et sa famille…
    J’appuie totalement ce que tu nous partages, et deux de mes enfants travaillant de ce système ont été très heureux de te lire aussi..
    Merci espérant que tu puisses participer aux différents comités de la réforme…
    Prends aussi soin de toi !

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