Gouvernance et éducation – texte synthèse de Normand Baillargeon

Gouvernance et éducation

Les philosophes nous disent, avec raison, que le concept d’éducation est un de ces concepts à propos desquels, immanquablement, des désaccords, souvent profonds, sont présents. En d’autres termes, le concept d’éducation, comme celui de justice, pour prendre un autre exemple populaire, est par essence débattu, contesté, polémique.

Malgré tout, pour qu’il soit relativement harmonieux, le fonctionnement du très vaste et complexe monde de l’éducation exige un certain consensus sur la signification de ce concept. C’est là une condition essentielle de la gouvernance de ce monde et de la collaboration entre les personnes et les nombreuses entités qui le composent et qui y agissent.

Tout cela suppose que, autant que faire se peut, des faits pertinents soient reconnus comme tels ; qu’un consensus, le plus large possible, existe sur les finalités devant être poursuivies, sans oublier une reconnaissance et une confiance réciproques des agents qui prennent des décisions et qui agissent dans ce monde.

Rien de tout cela n’est facile, mais sans cela, le système perd de sa légitimité.

Peu de gens, je pense, contesteront que nous traversons en ce moment une grave crise de gouvernance de l’éducation. Elle se manifeste aux trois échelons évoqués plus haut.

Notre crise de gouvernance

En voici quelques symptômes.

Le plus récent est bien entendu ce bâillon par lequel on a aboli les commissions scolaires.

Que l’on soit ou non d’accord avec cette décision, en faveur de laquelle des arguments pouvaient en effet être avancés, il reste qu’elle est un coup de force politique aux conséquences imprécises. On savait, bien entendu, que ce gouvernement voulait abolir les commissions scolaires, mais on aura appris sous le bâillon par quoi elles seront remplacées. Ce que tout cela signifiera en pratique reste largement à voir. Qui sait ? Le spectre en version québécoise de ces « bons d’éducation », hier chers à l’ADQ, est peut-être à redouter.

On notera aussi que durant le débat entourant cette politique, on a trop souvent eu l’impression de prises de position partisanes et intéressées défendues par des syndicats, par des directions d’écoles ou de cégeps, par des universités et des universitaires, par des professeurs ou des membres de diverses bureaucraties, tout cela trop souvent sans grand recul et sans légitimité pour prétendre parler au nom d’un bien commun bien réel, convenu et bien défini.

Un autre récent symptôme du mal dont nous sommes frappés transparaît avec ce cégep en région donnant à Montréal des cours en anglais à une clientèle recrutée à l’étranger. Ici, nos structures et politiques semblent mal adaptées à des réalités nouvelles, comme la pénurie d’étudiants et la concurrence internationale en recrutement.

On trouvera cependant aussi d’autres traces de ce mal qui sont bien présentes depuis trop longtemps.

C’est ainsi qu’on a hier sagement voulu permettre une véritable démocratisation de l’accès à l’éducation et une substantielle égalité des chances. Notre système d’éducation est désormais profondément inégalitaire, avec ce qu’on donne couramment comme ses fameuses trois vitesses : le public, le public avec programmes spéciaux et le privé subventionné. Au-delà des positions que défendent souvent par intérêt les acteurs et institutions impliqués dans tout cela, que voulons-nous collectivement ?

Nous avons aussi, en ce moment, une dramatique pénurie d’enseignants, causée entre autres par l’abolition du certificat en enseignement secondaire, que j’avais en son temps dénoncé comme fille du corporatisme et du clientélisme des facultés d’éducation : celles-ci semblent aujourd’hui avoir bien du mal à résoudre cette crise. On se souviendra en outre qu’elles nous ont donné, il y a une vingtaine d’années, une controversée réforme de l’éducation largement contraire aux données de recherche probantes.

Un autre danger est aussi de plus en plus visible et il est sans doute lui aussi alimenté par cette carence de vision claire sur laquelle une saine gouvernance doit prendre appui : la commercialisation de l’éducation, de la recherche et du savoir. Jusqu’où veut-on, doit-on, peut-on collectivement nous engager dans ces voies ? Avec quelles garanties ?

J’arrête là cette énumération, mais non sans rappeler que tout ce que j’ai dit pourrait aussi être répété à propos de l’implantation des maternelles, de la désertion professionnelle affectant le plus beau métier du monde et de notre laïcité inachevée.

Que faire ?

Une commission Parent 2.0… ou 5G

On le sait si on me lit ne serait-ce qu’un peu : je suis persuadé que nous ne pourrons nous sortir de ces périls qu’en menant, à la lumière des connaissances les plus solidement établies, une réflexion collective et informée sur ce que, du préscolaire à l’université, nous attendons de notre système d’éducation. C’est là, je le sais bien, une vaste et difficile tâche. Elle demandera du temps, des gens dévoués et savants, et beaucoup de sagesse. Mais elle est nécessaire.

Une telle chose a été faite chez nous, il y a un demi-siècle. En référence à ce vaste travail accompli hier, j’ai proposé d’appeler l’exercice que je préconise la commission Parent 2.0. Un ami espiègle assure que ce nom n’est déjà plus assez attrayant en ces temps technophiles et que je devrais plutôt proposer une commission Parent 5G.

Peu importe.

Je soutiens que nous nous devons collectivement d’accomplir ce travail et que les périls que nous courons à ne pas le faire sont trop grands pour ne pas nous y mettre rapidement.

On s’en souviendra : c’est en grande partie le politique et la société civile qui ont voulu les changements en éducation que la commission Parent a apportés. Je pense que c’est aujourd’hui la société civile, des partis politiques d’opposition, mais aussi et surtout ces nombreux acteurs de l’éducation conscients de ce qui se passe qui devraient porter cette demande.

Les entendre me réjouirait au plus haut point.

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