L’urgence, l’instantanéité, l’immédiateté et la vitesse


Extraits du volume de Nicole Aubert: Le culte de l’urgence
Flammarion 2003
Pierre Potvin mai 2006

 Le livre cherche à comprendre comment notre époque est entrain de vivre une mutation radicale dans son rapport au temps, comment cette mutation affecte profondément notre manière de vivre et travailler et contribue à l’émergence d’un nouveau type d’individu, flexible, pressé, centré sur l’immédiat, le court terme et l’instant, un individu à l’identité incertaine et fragile. p. 21

… ce sont les individus – et non le temps – qui accélèrent toujours davantage, se contractent et se compriment toujours plus pour répondre aux exigences d’une économie et d’une société qui tourne à vitesse toujours plus grande, exigent des performances toujours plus poussées et des actions toujours plus immédiates. p 23

… l’urgence, l’instantanéité, l’immédiateté ont envahi nos vie p. 24

Le soubassement de ce nouveau rapport au temps réside dans l’alliance qui s’est opérée entre la logique du profit immédiat, celle des marchés financiers qui règnent en maître sur l’économie, et l’instantanéité des nouveaux moyens de communication. Cette alliance a donné naissance à un individu « en temps réel », fonctionnant selon le rythme même de l’économie et devenu apparemment maître du temps. Mais l’apparence est trompeuse et, derrière, se cache souvent un individu prisonnier du temps réel et de la logique de marché, incapable de différencier l’urgent de l’important, l’accessoire de l’essentiel p 24

Pris dans les rouages de l’économie du « présent éternel », englués dans les innombrables choix que nous permet la société marchande, focalisés sur la satisfaction immédiate de nos désirs, ne sommes-nous pas devenus non seulement des « hommes-présent », incapables de vivre autrement que dans le présent le plus immédiat, mais plus encore des hommes de l’Instant, collant à l’intensité du moment et cherchant des sensations fortes liées à la seule jouissance de l’instant présent? p 27

La société actuelle…semble en effet passer… d’un mode de fonctionnement « à temps long » où les repères se comptaient en année à l’échelle de l’individu, en siècle à celle de l’histoire – à un mode « à temps court », société du zapping, du fast, des clips, et des spots dans laquelle il s’agit de vivre l’intensité sans la durée et d’obtenir des résultats à l’efficacité immédiate. La quête de sens, qui se déployait naguère à l’échelle d’une vie tout entière, s’est ainsi métamorphosée en une demande de mieux être ici et maintenant.

Ce qui unit les trois premiers concepts d’urgence, instantanéité et immédiateté, disions-nous, c’est celui de vitesse, elle-même au cœur du système capitaliste : plus le capital tourne vite et plus le taux profit annuel qui imprègne toute l’histoire du capitaliste p. 32

…Le type porte tout sur ses épaules, explique ainsi un spécialiste de la gestion des ressources humaines, il porte son présent, son futur, son avenir, sa formation, son employabilité… Il est responsable de tout, de ce qui lui est arrivé, de ce qui lui arrive, de ce qui va lui arriver… p 52-53

Le temps constitue ainsi la corde sur laquelle la vie de chacun va se tendre. Et, sur ce point, les nouvelles technologies de l’instantanéité représentent une arme à double tranchant. D’un côté, elles semblent libérer l’individu de son assujettissement au temps, de l’autre elles intensifient l’obligation de réactivité immédiate dont il est l’objet et, de ce fait, contribuent à générer ou entretenir l’urgence p. 53

Quels sont les effets de ce nouveau temps relationnels, de cette capacité à établir des liens dans l’immédiat et à obtenir des réponses instantanément, de cette possibilité d’obtenir le monde entier au bout du téléphone portable ou du clavier de son ordinateur? La réponse n’est pas simple et, quand on tente de l’approfondir, c’est un tableau contradictoire qui se dessine : d’un côté un individu apparemment libéré des contraintes du temps, mais conforté dans un sentiment de toute-puissance plus ou moins illusoire, de l’autre un individu « compressé », écrasé par cette temporalité de l’immédiat qu’elle implique p57-58

Le téléphone mobile (cellulaire) ne crée pas l’urgence mais c’est lui qui, de plus en plus, la permet : le temps est brusqué afin de saisir l’occasion. Il s’agit d’être à la fois en situation de ne rien rater, c’est-à-dire à l’écoute (branché) et en disposition de commuter immédiatement (zapper) sur ce qui apparaît subitement mieux ou plus intense 59

… C’est tout à la fois l’anxiété du temps perdu, le stress du dernier moment, le désir jamais assouvi d’être ici et ailleurs en même temps, la peur de rater quelque chose d’important, l’insatisfaction des choix hâtifs, la hantise de ne pas être branché au bon moment sur le bon réseau, et la confusion due à une surinformation éphémère 60


 

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