La méditation gagne du terrain dans les écoles
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JEAN-BENOIT LEGAULT
La Presse Canadienne
Montréal
Maux de ventre, gorge serrée, sanglots, ongles rongés jusqu’au sang… Les élèves des écoles primaires du Québec semblent de plus en plus anxieux, et leurs enseignants se sentent souvent impuissants face à la situation.
Certains se tournent maintenant vers la méditation pour leur venir en aide.
« On voit vraiment un gain de popularité important en milieu scolaire depuis quelques années, qui dépasse la vitesse à laquelle on fait de la recherche », a confié la docteure Catherine Malboeuf-Hurtubise, du département de psychologie de l’Université Bishop’s.
Environ 12 % des élèves du secondaire auraient reçu un diagnostic de trouble de santé mentale tel que l’anxiété, la dépression ou le déficit d’attention, selon l’Institut de la statistique du Québec.
Elsa Monsché, qui enseigne au niveau primaire depuis plus de 20 ans dans l’est de l’île de Montréal, a implanté un programme de méditation dans sa classe de 5e année en septembre 2018.
« Je remarque depuis que j’enseigne que les enfants sont de plus en plus anxieux, a-t-elle dit. Ils ont de la difficulté à gérer leurs émotions reliées à l’anxiété et il y a beaucoup d’anxiété de performance. J’ai fait de l’anxiété au début de la quarantaine, et j’ai trouvé ça extrêmement difficile à gérer même si je suis une adulte. Quand ce sont des enfants en plus, ils ne savent pas encore comment bien gérer ça, donc je voulais les outiller pour en faire des adultes capables de gérer leur anxiété plus facilement que moi j’ai pu la gérer quand ça m’est arrivé. »
S’il est encore trop tôt pour mesurer l’impact exact qu’a la méditation sur le stress et l’anxiété des enfants, des constatations anecdotiques permettent de croire qu’ils sont nombreux à intégrer la pratique à leur vie quotidienne et à en retirer des bienfaits.
Enseignants démunis
« Les professeurs veulent implanter des interventions qui visent à ralentir le rythme un peu, a expliqué Mme Malboeuf-Hurtubise. Les profs nous disent qu’ils ne se sentent pas outillés pour aider leurs élèves à mieux gérer leur stress, à mieux gérer leur anxiété. Ils notent la détresse psychologique de leurs élèves et ils sont à la recherche d’outils qui pourraient les aider. Ils se sentent un peu démunis […] et (la méditation) est un outil qu’on propose parmi plusieurs autres. »
Les ressources dont ils disposent à cette fin se multiplient.
Le manuel « Mission Méditation » développé par Mme Malboeuf-Hurtubise et le chercheur Éric Lacourse est très populaire auprès des enseignants du Québec.
Mme Monsché a plutôt suivi la formation offerte par l’Institut CIME.
« Le programme que j’ai suivi est fait pour des enfants de cet âge-là, a-t-elle expliqué. On amène ça tranquillement […] un peu comme un outil. Les enfants se reconnaissent dans la situation de départ et dans le questionnement qui leur est amené. »
Mme Malboeuf-Hurtubise et ses collègues offrent de leur côté quatre ou cinq ateliers chaque année à l’intention des enseignants et autres intervenants en milieu scolaire.
« La formation est très expérientielle […], a-t-elle dit. On leur fait vivre les méditations, on les fait méditer, et ensuite aussi on leur offre la possibilité de s’exercer, de méditer. »
Bien accueillie
La méditation pratiquée dans les écoles n’est pas celle des gens assis en cercle qui chantent « ahoummm » en faisant brûler de l’encens. Elle s’inspire plutôt de la méditation de la pleine conscience, qui appelle à faire une pause pour prendre pleinement conscience des émotions qui nous habitent en ce moment.
Mme Malboeuf-Hurtubise parle plutôt d’une « présence attentive », qui a été adaptée par le professeur Jon Kabat-Zinn à partir des écrits bouddhistes pour diminuer la douleur de ses patients et qui s’est tranquillement adaptée à l’enfance.
« Les enfants sont très ouverts d’esprit, très curieux, rappelle-t-elle. Le livre a été conçu pour proposer des activités qui ne sont pas trop arides pour les enfants, qui sont ludiques, qui sont concrètes, donc ils aiment ça. »
Tout cela vise à favoriser une meilleure santé mentale, ajoute la chercheuse. L’enfant qui est dans l’instant présent, qui prend le temps de se « déposer », de voir quelles émotions il ressent dans le moment présent, de prendre conscience de ses pensées et de ses sensations physiques sera ensuite plus à même de reconnaître les moments où il est plus anxieux et donc de briser « le processus de spirale d’anxiété qui prend beaucoup d’ampleur », a-t-elle dit.
Mme Monsché demande à ses enfants de méditer deux minutes après la récréation du matin et deux minutes en revenant du dîner. Les élèves ont aussi la liberté de méditer quand ils en ressentent le besoin.
« La méditation de l’arbre, la méditation du ballon, la méditation du coeur ouvert… Elles ont toutes des significations et elles sont toutes différentes pour être utilisées dans des contextes différents : si tu te sens stressé, si tu as peur de quelque chose, si tu as envie de te calmer… », a-t-elle expliqué.
Elle a pris soin d’expliquer aux parents que la pratique de la méditation n’a rien à avoir avec une religion ou une autre. Les échos qui lui sont ensuite parvenus étaient pratiquement tous positifs : des parents ont fait état d’enfants qui méditaient chez eux, dans leur chambre ou encore dans un coin qu’ils avaient aménagé spécifiquement à cette fin.
« Je pense que ce sont des outils que, s’ils ne les utilisent pas maintenant en 5e année, je pense qu’à certains moments de leur vie ça va leur rester, a lancé Mme Monsché. Je pense que c’est une pratique que certains vont avoir adoptée à partir de maintenant. Ça fait son petit bout de chemin. »
Cela étant dit, comme n’importe quelle autre matière enseignée à l’école, la méditation ne rejoindra pas tout le monde.
« Il y en a encore pour qui c’est difficile de s’arrêter, a-t-elle confié. J’en ai qui embarquent plus que d’autres. Je les vois, ils sont dans leur état, c’est leur deux minutes, mais pour d’autres je vois que c’est vraiment plus difficile. Ils ne dérangeront pas, mais ils ne feront pas vraiment la méditation. J’ai un lot d’enfants qui a de la difficulté à s’arrêter, à s’intérioriser. Je me dis que si je n’avais pas mis ça en place, si je n’avais pas fait ces pauses-là dans la journée, selon moi ce serait pire. »