Création d’un Institut National d’Excellence en Éducation – Mémoire

Mémoire
Création d’un Institut National d’Excellence en Éducation (INEÉ)
[1]

Présenté au Groupe de travail
Monsieur Martin Maltais (président)
Madame Hélène Lecavalier
Monsieur Dominic Bertrand

Par Pierre Potvin Ph.D. pséd.
22 Octobre 2017
***

Dans ce mémoire je débute par une mise au point de certains concepts présentés dans le document de consultation. Par la suite,  je présente mon point de vue sur les questions proposées par le groupe de travail dans le document à la page 18.

Point de vue sur quelques concepts présentés dans le document de consultation

Je veux tout d’abord apporter mon point de vue sur certains éléments présentés dans le document de consultation (voir le lien plus bas pour l’accès à ce document de consultation). À mon avis ce document est très important, car il laisse entrevoir l’orientation possible de l’INEÉ.

Le concept d’excellence

Ce concept peu prêter à confusion. Je ne suis pas certain que c’est nécessaire d’ajouter « Excellence » à l’Institut. Ce pourrait être « Institut National en Éducation ». Si le terme « excellence » est ajouté, il faudrait bien préciser que c’est l’excellence des pratiques qui est visée et non des élèves. Si l’on applique le concept d’excellence aux élèves, ceci implique forcément de la sélection, de la compétition pour choisir les plus performants. Même si le document mentionne que ce qui est souhaité c’est « d’être meilleur » et non « le meilleur », à mon avis ce n’est pas suffisant. 

Portrait du système d’éducation

De la p.7 à 12,  l’on présente le portrait du système d’éducation. De nombreuses statistiques y sont décrites. À la p. 9 l’on présente la diplomation et la qualification scolaire.  Ce qui est très étonnant c’est qu’on ne mentionne nulle part dans le document la question des élèves en difficulté scolaire et du problème fondamental des ÉHDAA  [2]. Pourtant, l’un des problèmes majeurs de notre système d’éducation et l’une des causes du faible niveau de qualification des élèves est en bonne partie dû aux élèves en difficulté. Ces élèves représentent plus de 20 % de la population des élèves au Québec.

Dans le document L’éducation parlons d’avenir (p.2) l’on mentionne que « le système d’éducation québécois est l’un des meilleurs au monde». Je suis d’accord, mais en apportant une nuance : il est excellent pour les élèves qui ne présentent pas de difficulté. Ce qui représente environ 80 % à 85% des élèves. Il est cependant important de nuancer ce qu’on entend par un système performant. En effet, certaines critiques rappellent que le système est performant pour la clientèle « régulière », mais l’est moins pour les jeunes présentant des difficultés scolaires, des retards scolaires ou du risque de décrochage scolaire.

Résultats probants et grades des recommandations 

Il va de soit que l’on cherche en éducation à mettre en œuvre les meilleures pratiques. Des pratiques évaluées qui ont fait leur preuve. Encore ici il faut être prudent sur l’utilisation de données probantes, de résultats probants, de pratiques « issues de la recherche », car il existe un grand débat à ce sujet. Les meilleures pratiques en éducation sont issues d’une alliance entre la recherche et la pratique. Contrairement au domaine de la santé en ce qui concerne les médicaments, les bonnes pratiques en éducation ne proviennent pas de la recherche en laboratoire. Elles sont issues d’une collaboration étroite entre les chercheurs et les praticiens. Bien qu’il est pratique de s’inspirer de la longue expérience du domaine de la santé en matière de bonnes pratiques, de recherche, de transfert de connaissances, l’éducation fait partie des sciences humaines et a développé des approches différentes tant en recherche qu’en transfert des connaissances.

Ainsi, la référence au Grade de recommandations présenté au tableau 9 du document de consultation convient peu à ce qui a cour en recherche en éducation et aux critères pour évaluer et sélectionner les meilleurs pratiques. L’espace de ce mémoire ne permet pas de présenter les arguments sur ce sujet.[3]

À la p. 14 Pratique avérée ou fondée sur les résultats probants… qui se base sur la prise de décision ou l’action sur les meilleures preuves scientifiques. Cet énoncé est très clair, le problème fondamental sera pour l’Institut de s’entendre sur « qu’est-ce qu’une meilleure preuve scientifique en éducation? ».

L’Institut aura à se situer face aux différents paradigmes qui existent en recherche et en pratique professionnelle en sciences de l’éducation.

La recherche scientifique et les meilleures pratiques

À la p. 4 le document mentionne « les meilleures pratiques issues de la recherche ». Dans le domaine professionnel comme c’est le cas en éducation, en psychoéducation, les meilleures pratiques ne sont pas « issues de la recherche ».  Cette phrase laisse entendre que les bonnes pratiques sont issues de la recherche, créées par la recherche. Ce qui n’est pas le cas à mon avis.  Les bonnes pratiques sont habituellement élaborées par les praticiens en collaboration avec des chercheurs et évaluées et validées par la recherche. C’est l’alliance entre le savoir issu de la recherche et le savoir d’expérience qui permet de développer les meilleures pratiques. La nuance est très importante et peut orienter d’une façon très importante la conception de l’INEÉ. Dans une conception d’alliance, il n’y aura pas de pouvoir hiérarchique de la recherche sur la pratique ou des chercheurs sur les praticiens en encore l’inverse. [4]

Questions relativement à la création de l’INEÉ.

Quel statut doit-on privilégier pour la création d’un tel institut?

Considérant la complexité du domaine des sciences de l’éducation et de la réussite éducative et scolaire, considérant les nombreuses écoles de pensée et les différents paradigmes, considérant la variété des acteurs impliqués, considérant les enjeux politiques qui côtoient la création de l’INEÉ, le statut devrait être :

  • Libre et indépendant des influences politiques, mais financé par le gouvernement. Autonome dans ses orientations et ses décisions.
  • Libre et indépendant des universités, des centres de recherche et des commissions scolaires.

Toutefois, cette liberté de structure doit permettre et favoriser des partenariats ou encore une intégration des deux organismes suivants :

  • Le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) pourrait faire partie de la nouvelle structure de l’INEÉ, avec un mandat adapté. L’idée ici est de profiter de l’expérience de cette structure, entre autres au niveau des enquêtes et des avis.
  • Le Centre de Transfert pour la Réussite Éducative du Québec. Le CTREQ a une riche expérience de transfert de connaissances et d’accompagnement des milieux. Un réseau de chercheurs associés et de nombreux membres associés (multiples acteurs de l’éducation). Il serait impensable de ne pas établir un lien étroit avec le CTREQ et même peut être intégré le CTREQ au sein de l’Institut, si c’est possible. Le mandat de l’INEÉ en ce qui concerne le transfert de connaissances, la formation et l’accompagnement des milieux pourrait être confié au CTREQ. Le RIRE (Réseau d’Information pour la Réussite Éducative) pourrait assumer la veille avec son infrastructure et sa longue expérience. Bien entendu cela suppose de l’investissement afin d’agrandir l’équipe de professionnels de ces deux structures pour permettre de remplir en partie les mandats de l’INEÉ.

Établir des partenariats avec les équipes de recherche universitaire (centre de recherche, chaires, etc.) qui ont pour mandat de réaliser de la recherche dans le domaine de la réussite éducative et scolaire.

Établir un partenariat avec le ministère de l’Éducation, particulièrement avec Territoire, statistiques et enquêtes.

Est-ce que les trois objectifs couvrent l’ensemble des aspects à considérer? Doit-on en ajouter ou en retrancher?

Les trois objectifs semblent bien couvrir la mission de l’INEÉ. Je modifierais le premier objectif, car il me semble beaucoup trop ambitieux étant donné le vaste champ des sciences de l’éducation et de la réussite éducative et scolaire.   Dresser la synthèse la plus exhaustive et objective possible de l’état des connaissances scientifiques disponibles, au Québec et ailleurs, sur toute question concernant la réussite éducative.  Je ciblerais, comme le fait l’INESP, des thèmes qui sont liés à la réussite éducative, quitte à enlever et ajouter certains thèmes au cours des années.

Ces trois objectifs sont le noyau dur de l’INEÉ : 1- l’état des connaissances et des bonnes pratiques sur les différents thèmes liés à la réussite éducative; 2- réaliser le processus de transfert de ces connaissances vers les milieux de pratique; 3- former et accompagner les milieux à utiliser ces connaissances nouvelles.

Nos années de collaboration avec le CTREQ, nous ont bien démontré qu’il ne suffit pas d’avoir accès à des nouvelles connaissances, aux meilleures pratiques, il faut en plus que les milieux soient accompagnés. Et, par le transfert de connaissances, s’approprier des nouvelles pratiques et les mettre en œuvre [5]

Comment peut-on concevoir l’interaction entre les différents groupes qui jouent un rôle dans le transfert des résultats probants? Comment ces modalités doivent-elles s’opérationnaliser de façon concrète?

Au départ, l’INEÉ devra faire le bilan des centres de recherche, des chaires de recherche qui sont actifs dans le domaine de la réussite éducative et scolaire et aussi prendre connaissance de l’expertise développée par le CTREQ en transfert de connaissances depuis plus de 15 ans.

Le rôle de l’INEÉ sera d’établir des partenariats de collaboration avec ces instances, d’être un catalyseur de la recherche et du transfert et jouer le rôle de coordonner et d’orienter les actions prioritaires.

Il ne faut surtout pas faire « table rase » et se priver de la richesse des compétences existantes et des efforts déployés depuis deux décennies.

En plus du CTREQ,  le ministère de l’Éducation a son propre service qui réalise de multiples recherches et analyses pour répondre à des besoins soulevés par les différents acteurs de l’éducation. S’y ajoute le Programme de recherche sur la persévérance et la réussite scolaire en partenariat avec le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).

De plus, la recherche en éducation au Québec est très productive avec ses nombreux centres universitaires de recherche comme, le CRIFPE, le CRIRES, Périscope,  le GRÈS, le GRIP et beaucoup d’autres.

Au départ, il faudrait faire le bilan des organismes existants et en faire la tournée ou un événement les regroupant afin de faire le point et d’établir des partenariats.

Comment doit-on envisager la structure organisationnelle de l’institut?

Peut-être prendre la structure actuelle du CSÉ et d’y apporter des modifications majeures considérant que la mission de l’INEÉ couvre beaucoup plus large que la mission actuelle du CSÉ. Il faudra y ajouter l’intégration du CTREQ pour tout ce qui concerne le transfert des connaissances, l’accompagnement et la formation ainsi que la veille avec le RIRE. Bien entendu il sera nécessaire d’avoir beaucoup plus de personnels permanents et un budget qui devrait ressembler à celui des autres Instituts (entre autres la santé).

Selon le statut retenu, quelle forme doit prendre la gouvernance de l’institut et quels groupes ou organisations devraient y être représentés?

Le CA de l’INEÉ devrait avoir des représentants des acteurs qui couvrent le champ de l’éducation et de la réussite éducative pour le préscolaire, primaire et secondaire : enseignants, administrateurs (directions école, direction CS), professionnels de l’éducation, syndicats, chercheurs ou centre de recherche, Instances Régionales de Concertation (IRC), organismes communautaires et parents.

Quels sont les aspects à considérer à l’égard de la formation à distance et du numérique de façon plus large?

L’utilisation du numérique et la pédagogique qui l’entoure est un incontournable. Ce devra être un thème clé de l’INEÉ.

Notes

[1] L’éducation, la recherche, les bonnes pratiques et la création d’un Institut National d’Excellence en Éducation m’interpelle profondément. L’Éducation pour moi est une valeur fondamentale et j’y ai consacré la grande majorité de ma carrière professionnelle comme intervenant psychoéducateur, chercheur universitaire et consultant en éducation et en psychoéducation (50 ans).

[2] En 2014-2015,  chez les EHDAA le taux de diplomation des études secondaires (avec certificats et qualifications) était de seulement 48,3 %. En enlevant les certificats et qualifications, le taux chute à 28 %.

3] Pour plus d’information voir : Potvin, P. (2016). Alliance entre le savoir issu de la recherche et le savoir d’expérience. Un regard sur le transfert de connaissances. Collection Psychoéducation : fondements et pratiques. Béliveau éditeur. (le chapitre 7. La pratique professionnelle – qu’est-ce qu’une bonne pratique et les données probantes).

[4] Voir : Potvin, P. (2016). (déjà cité).

 

[5] Voir à sujet www.ecoleetstrategies.ca

 

Lien au document de consultation pour la création d’un Institut National d’Excellence en Éducation

consultation_institut_excellence-hires

Un article intéressant qui critique la création d’un Institut

https://www.lesoleil.com/opinions/education-a-t-on-besoin-dun-institut-dexcellence-eb95ad75ebd0f80a9a89c3a182236b99

Lettre au Ministre de la part du président du groupe de travail M. Maltais

https://www.lesoleil.com/actualite/education/aider-les-profs-a-se-mettre-a-jour-cae59922774149eacede835feb68a43d

4 réflexions au sujet de « Création d’un Institut National d’Excellence en Éducation – Mémoire »

  1. salut Pierre
    je pense que tu serais d’accord pour dire qu’aucun système scientifique ne vaut une relation privilégiée avec un enseignant …

    j’espère qu’on t’invitera à siéger à l’Institut…

  2. Voilà un mémoire très objectif de la question, une posture que je n’ai pas souvent vue dans le débat public sur la question. Je reconnais là ta grande probité d’esprit, dont la qualité de « probant » est plus utile qu’aux données.

    Je partage d’ailleurs ta crainte au regard du sens qu’on donnera à la notion de « données probantes ». Ma plus grande objection au regard du document de consultation concerne le tableau 9 des grades des recommandations qui, comme tu le soulignes, nécessite une critique épistémologique plus approfondie.

    Si un tel institut voit le jour, j’ajoute ma voix au souhait de t’y voir siéger, sachant qu’il aura bien besoin de ta sagesse.

  3. Excellente suggestion. Tout comme le domaine judiciaire, il est grand temps que le domaine de l’Éducation devienne indépendant du politique, exempt de toute influence. Racine du savoir et du savoir-faire d’une nation, d’un peuple, elle doit être encadrée et contrôlée par un seul organisme spécialisé en la matière et à politique, menant des consultations à l’interne. Et qui se doit de jouer son rôle ou de s’acquitter de sa mission en appliquant une rigueur dans sa gestion.
    Pierre Sadeum Feunou.

  4. Je suis tout à fait d’accord avec les phrases suivantes: Les bonnes pratiques sont habituellement élaborées par les praticiens en collaboration avec des chercheurs et évaluées et validées par la recherche. C’est l’alliance entre le savoir issu de la recherche et le savoir d’expérience qui permet de développer les meilleures pratiques

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