COVID-19 et l’âgisme

La présente crise du coronavirus a fait ressortir, chez nos concitoyens, beaucoup de traits de caractère positifs et de qualités d’entraide, d’empathie et de résilience qui les honorent. Hélas, elle a aussi permis l’émergence de certaines attitudes et comportements déplaisants pour ne pas dire déplorables, dont la tendance à la dénonciation infondée et la recherche de boucs émissaires ne sont pas les moindres.

Parmi les comportements les plus fâcheux ayant émergé, celui qui consiste à dénigrer une partie de la population en bloc. On a ainsi vu des imbéciles s’en prendre à des Asiatiques parce que le coronavirus a émergé en Chine. Un autre exemple de cette tendance au dénigrement collectif est actuellement, sous couvert de vertu sociale, à l’œuvre : il s’agit de ces gens qui stigmatisent collectivement les aînés parce que ceux-ci ont été désignés par les autorités comme plus susceptibles de développer de graves pathologies s’ils attrapent le virus et parce qu’elles les ont invités, de manière plus ou moins claire et même par moments cavalière (le fameux « Envoye à maison »), à rester confinés à leur domicile.

La nature de ce confinement demande à être précisée. D’abord, il est volontaire, et permet aux gens de 70 ans et plus de sortir de leur résidence pour satisfaire leurs besoins essentiels et même pour prendre l’air et se changer les idées. Il est donc déplacé de leur jeter des regards assassins si vous les croisez à l’épicerie ou sur les trottoirs. Un brin de discernement pour différencier les comportements acceptables des comportements délinquants serait apprécié.

Ensuite, on doit aussi comprendre que la désignation des 70 ans et plus comme candidats à l’auto-enfermement est arbitraire et fondée sur une interprétation hyperbolique des statistiques. À partir de statistiques rassemblant la population en tranches de dix ans, on a découvert que les septuagénaires, octogénaires et nonagénaires étaient plus à risque, en proportions croissantes, de développer des pathologies graves ou de décéder après avoir été infectés par le coronavirus.

Primo, cette information a été comprise par une certaine partie de la population comme signifiant que les 70 ans et plus étaient porteurs du virus dans une proportion plus importante que le reste de la population, et donc plus susceptibles de le transmettre : cette interprétation, hormis le cas mystérieux des enfants, est erronée, mais elle a transformé les aînés, pour une bonne partie de la population, en parias qu’il faut impérativement enfermer pour se protéger.

Deuxièmement, ces statistiques masquent une autre réalité dont personne ne parle, soit le fait qu’un individu de 80 ans en bonne santé, non-fumeur et sans pathologie pulmonaire, est sans doute moins à risque de voir son état se dégrader s’il attrape la COVID-19 qu’un individu de 40 ans en mauvaise forme, asthmatique ou fumeur.

Troisièmement, le confinement des aînés fortement suggéré par les autorités (et que certains croient obligatoire) a comme premier objectif, ce qui est compréhensible et même sagace, d’empêcher la saturation du système de santé au moment où la pandémie aura atteint son pic, par la multiplication des cas de personnes âgées infectées qui exigeront des soins lourds. Il ne vise que très accessoirement à protéger les autres catégories de la population comme semblent le croire certains jansénistes donneurs de leçons.

Quatrièmement, un « vieux » qui n’a pas été déclaré positif et qui fait une promenade pédestre ou fait ses courses en respectant la distanciation physique et les règles d’hygiène élémentaire ne fait pas courir un plus grand risque aux autres individus qu’il croise que les « jeunes » qui font la même chose. Ou on enferme impérativement tous les citoyens, comme en France et en Italie, ou on tolère un certain libre choix, accessible à chacun tant qu’il n’a pas été déclaré porteur ou qu’il n’a pas développé les symptômes.

Cinquièmement, le fait de taxer les aînés d’égoïsme, comme l’a fait un certain médecin de Lévis, parce qu’ils prennent une marche ou qu’ils rêvent du moment où ils pourront commencer leur saison de golf, relève d’un âgisme puritain et sans cœur qu’il faut dénoncer comme on le fait pour les autres « ismes » ségrégationnistes ou avilissants.

Comme les autres citoyens qui supportent ce moment difficile de leur mieux, les aînés ont le droit de rêver au jour où ce cauchemar prendra fin et où ils retrouveront leur famille et leurs loisirs, sortant enfin de l’isolement. Les dénigrer en les traitant de « boomers égoïstes » démontre un manque total d’empathie pour des gens qui vivent les avanies du vieillissement et révèle un mépris honteux envers une partie de la population qui fait sa part, notamment par le bénévolat, dans le tissu social.

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