Carl-Ardy Dubois
Doyen de l’École de santé publique
de l’Université de Montréal
Le Devoir 22 juin 2022
Extraits (réalisé par Rénald Horth)
La pandémie aura mis à nu la violence silencieuse qui est crée par les inégalités sociales et qui fait porter par les plus vulnérables les plus lourds fardeaux.
On peut concéder que les enfants passent par un certain nombre d’étapes communes, mais ils ne vivent pas pour autant la même enfance. Des enfants qui vivent tous au même moment, dans une même société, à un même stade de leur développement, font plutôt face à des univers très différenciés, des expériences diverses, et des conditions de vie très inégales dictées par leur lieu de naissance, leur origine sociale, leur sexe, leur ethnicité.
L’enfance est fondamentalement une réalité sociale. Les inégalités s’expriment dans leur corps et entravent leur plein développement : des troubles de vision non-corrigés, des troubles moteurs et sensoriels négligés, des problèmes dentaires non-soignés, des déficits nutritionnels ignorés, des situations de violence qui grèvent leur santé physique et mentale.
Ces inégalités s’expriment aussi dans leur esprit. Pour beaucoup ils auront moins accès aux ressources culturelles, techniques et scientifiques résultant pourtant des plus grands progrès de l’humanité. Pour beaucoup, ils seront confinés à l’horizon limité de leurs conditions sociales précaires. Pour beaucoup, ils seront limités dans leurs loisirs. Pour beaucoup, ils devront précocement apprivoiser ces hiérarchies économiques, sociales et culturelles qui les excluent de certains privilèges, voire de certains droits.
L’avenir de nos sociétés dépend des conditions matérielles et sociales, des espaces de socialisation et de développement que nous offrons à nos enfants d’aujourd’hui. Le capital économique, culturel et social des parents est important parce qu’il
détermine les conditions d’existence des enfants et les ressources qui leur sont accessibles : le quartier qu’ils habitent, l’école qu’ils fréquentent, le parcours scolaire auquel ils peuvent rêver, les loisirs et les jeux qui leur sont accessibles et les pratiques adultes auxquelles ils sont exposés.
Il est impératif de réduire les inégalités durant l’enfance, non seulement pour changer les destins sociaux de nos enfants, mais aussi pour assurer un avenir meilleur à nos sociétés. Il est impératif de défaire ce cercle vicieux d’injustices et d’inégalités dans lequel sont emprisonnés trop d’enfants pour enrayer toutes ces misères qui accablent des groupes importants de nos populations : leur satisfaction de besoins essentiels qui est compromise, leur horizon mental qui est obscurci, leur capacité d’agir qui est contrainte, leurs droits fondamentaux qui sont brimés, leur maîtrise du monde qui est restreinte, leur espérance de vie qui est raccourcie.
Ces misères ne sont pas une fatalité, elles ne sont pas inéluctables. Elles sont façonnées par nos institutions et nos politiques, et nous avons le pouvoir de les changer.