Pratiques innovantes en éducation

Pour citer ce texte:
Potvin, P. (2015). Pratiques innovantes en éducation. site internet http://pierrepotvin.com/wp. Catégorie Éducation.


Ce texte présente les éléments théoriques qui entourent la notion de pratique innovante. À première vue l’innovation semble une notion simple signifiant la nouveauté et le changement. Cependant lorsque l’on recense les écrits de recherche ou les écrits professionnels sur l’innovation sociale ou plus spécifiquement sur l’innovation en éducation, rapidement on est confronté à la complexité de cette notion. Le texte aborde la notion de pratique, par la suite celle de l’innovation. Suivent les caractéristiques de l’innovation, ses divers types et les étapes de son processus.  En dernier lieu est abordé la question des pratiques exemplaires en lien avec les pratiques innovantes.

 La notion de pratique 

Une pratique en éducation est un acte professionnel réalisé par  l’enseignant, la direction d’un établissement ou par un professionnel non enseignant. Legendre (16)  définit la pratique comme un ensemble d’habiletés acquises par un individu ou par un groupe par l’exercice régulier d’une activité.

La notion d’innovation en éducation

Le terme innovation est généralement associé à la science et à la technologie. Le concept d’innovation, tel qu’on le connaît, s’est développé dans l’univers du progrès technologique. Mais l’innovation revêt aussi une dimension sociale et l’innovation en éducation en fait partie.   (CSÉ) (5)

 Dans différents pays européens, plusieurs autres termes sont synonymes d’innovation. À titre d’exemples en voici quelques-uns : ajustement, amélioration, développement, étude pilote, expérimentation, idées nouvelles concrétisées, modernisation, réforme, renouveau. Ce sont les mots réforme, développement et expérimentation qui sont les plus utilisés avec ou à la place du mot innovation. (Cros) (13). En éducation il existe plusieurs termes pour désigner l’innovation, soit : innovation pédagogique, innovation en éducation, innovation scolaire, innovation en formation. Le Conseil Supérieur de l’Éducation (5) privilégie « innovation en éducation ».

 Les principales définitions de l’innovation en éducation s’inspirent de celle d’Huberman (15), à savoir : « une innovation est une amélioration mesurable délibérée, durable et peu susceptible de se produire fréquemment » (p.7). Plus précisément, Huberman mentionne que l’innovation est une opération dont l’objectif est de faire installer, accepter et utiliser un changement donné. Une innovation doit durer, être largement utilisée et ne pas perdre ses caractères initiaux. Cros (10) mentionne que l’innovation résulte d’une intention et met en oeuvre une ou des actions visant à changer ou modifier quelque chose (un état, une situation, une pratique, des méthodes, un fonctionnement), à partir d’un diagnostic d’insuffisance, d’inadaptation ou d’insatisfaction par rapport aux objectifs à atteindre, aux résultats, aux relations de travail.

De son côté, le CSÉ (5)  nous indique  que lorsqu’il s’agit de définir ce qu’est l’innovation en éducation, il faut tenir compte du fait que son but premier est la réussite de l’élève et que cette réussite doit prendre en considération l’ensemble du développement de la personne. Le CSÉ (5) retient la définition suivante : « l’innovation en éducation est un processus délibéré de transformation des pratiques par l’introduction d’une nouveauté curriculaire, pédagogique ou organisationnelle qui fait l’objet d’une dissémination et qui vise l’amélioration durable de la réussite éducative des élèves ou des étudiants » (p. 26)

Ce qui caractérise l’innovation en éducation

L’innovation en éducation selon les divers auteurs recensés se caractérise principalement par les éléments suivants : une nouveauté, un produit, un changement et une amélioration, une durabilité et une transférabilité.

Une nouveauté

La nouveauté dans l’innovation se distingue de la novation  ou de l’invention. À ce titre, Schon (21)  affirme qu’un acte n’est novateur que s’il ajoute à la somme des inventions connues. Dans le cas contraire, il s’agit seulement d’un emprunt ou d’une diffusion  plus large de l’acte initial. Il faut donc préciser que l’innovation n’est pas une invention, car l’invention est une création nouvelle qui n’avait auparavant aucune existence où que ce soit, tandis que l’innovation est une nouveauté dans un contexte particulier, c’est une nouveauté qui est relative au contexte (parfois une recombinaison de choses anciennes).

Ce qui est nouveau dans l’innovation, ce n’est pas l’objet en question, son contenu, mais essentiellement son introduction dans un milieu donné. C’est en quelque sorte l’assimilation, d’objets, transférés, importés, empruntés à d’autres lieux. (Cros et Adamczewski (12); Cros (10) et  Béchard (2). L’innovation est une idée, une pratique, un objet perçu comme nouveau par les membres d’un système. (Rogers et Shoemaker) (15)

Un produit.

Le produit en question dans l’innovation c’est la substance à laquelle on attribue cette vertu novatrice. La plupart des auteurs considèrent généralement l’innovation comme un produit; une technologie nouvelle; un dispositif institutionnel; une méthode, un processus nouveau,  etc. (CSÉ) (5). L’innovation est une idée, une pratique, un objet perçu comme nouveau par les membres d’un système. (Rogers et Shoemaker) (19)

Un changement et une amélioration.  

C’est en opposition à des pratiques professionnelles considérées comme inopérantes et routinières que se construit le processus de l’innovation. L’innovation a toujours été envisagée comme une action transgressive individuelle ou groupale permettant d’améliorer des situations insatisfaisantes ou, du moins, de résoudre des problèmes. Cependant, l’innovation est autre chose qu’une simple résolution de problème, elle contient en elle-même des germes de créativité et d’originalité. (Cros) (8).

L’innovation résulte d’une intention et met en oeuvre une ou des actions visant à changer ou modifier quelque chose, idéalement un changement positif, une amélioration, un changement volontaire, intentionnel et délibéré. Elle veut le bien, le meilleur pour l’élève. Ce qui implique un changement de comportement, d’attitudes, d’approches de pensée. (Béchard (2) et Cros (13))

Cette innovation est de l’ordre de la créativité, de l’inventivité, de l’initiative par le renouvellement des méthodes, de l’organisation ou des contenus. (Cros) (9)  Il peut y avoir quelques astuces supplémentaires, quelques arrangements ingénieux dans l’action innovante, mais ce qui la caractérise c’est le fait de faire autrement afin d’améliorer ce qui existe. Ceci implique l’introduction d’un mieux-savoir, d’un mieux-faire et d’un mieux-être. On est ici au niveau de la connaissance opérationnelle, de l’art utile, d’une réponse à des attentes d’efficacité, de rentabilité (Cros et Adamczewski) (12)

De son côté Huberman (1973) (15) complète en parlant de motivations créatrices de l’innovation, entendue comme une volonté délibérée de changer les coutumes, de réduire l’écart entre les objectifs du système et les pratiques en vigueur, de redéfinir les problèmes, de reconnaître les nouveaux problèmes et de créer de nouvelles méthodes pour les résoudre.

 Une durabilité et une  transférabilité

L’innovation doit aussi être durable il ne doit pas s’agir d’une action isolée et éphémère. Elle doit sous-entendre une appropriation et une utilisation qui dépassent l’individu qui l’a créée ou implantée. Bref, l’innovation ne doit pas rester une action localisée. Il faut qu’elle se dresse en processus durable. (CSÉ) (5)

 Le renouveau pédagogique, dont l’implantation dans les écoles québécoises s’opère progressivement depuis 2000, s’inscrit dans cette volonté de changement durable. (MELS) (17) Un changement de cette envergure requiert une certaine maîtrise du changement. (CSÉ) (7) Pour le Conseil supérieur de l’éducation, cette maîtrise repose sur une convention des finalités, la gestion du processus de changement, l’adaptation à un environnement en mutation, mais aussi « avoir suffisamment de maturité pour orienter sa destinée et provoquer les adaptations qui apparaissent nécessaires. » (p. 24)

L’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) transgresse en partie le critère de durabilité. Si la révolution numérique est empreinte de permanence et constitue l’un des grands vecteurs de mutation en éducation, les moyens qui en émergent se succèdent à un rythme qui ne permet que des données contextuelles. (OCDE) (18) Malgré l’incapacité de la recherche à démontrer l’effet favorable des NTIC sur les résultats scolaires, certaines tendances positives se dégagent : augmentation de la motivation des élèves, plus grand degré de contrôle par les apprenants, situations d’apprentissage plus réalistes et authentiques, etc. (CSÉ) (6)

Divers types de pratiques innovantes en éducation selon les rôles des acteurs

En innovation en éducation on parle du fait qu’un enseignant, un administrateur ou toute une école mettent en pratique un concept, une attitude ou un instrument qui est quantitativement et qualitativement différent de ceux qui avaient cours auparavant. Le nouveau produit est rendu disponible et est diffusé dans le système tout en étant intégré dans les autres pratiques. (Huberman, 1973) (15).

Pratiques innovantes pour les enseignants

On touche ici aux pratiques d’enseignement où aux pratiques enseignantes  qui se définissent selon Legendre (16)  comme  l’ensemble des activités de l’enseignant orienté par les savoirs et les compétences de celui-ci ainsi que par les fins et normes de la profession d’enseignant  et mis en œuvre dans un milieu  pédagogique particulier. Également les pratiques pédagogiques qui concernent l’une ou l’autre ou l’ensemble des relations au sein d’une situation pédagogique. Corneille Kazadi (4)  précise que ces pratiques  concernent l’art de conduire ou de faire la classe, ce qui relève de  l’organisation et la signification du travail ou encore du domaine de la gestion de classe. Quant aux pratiques didactiques innovantes, elles concernent l’art ou la manière d’enseigner les notions propres à chaque discipline (français, mathématiques, anglais, sciences et technologie, etc.). (Corneille Kazadi) (4)

Pratiques innovantes pour les professionnels

Ici on s’intéresse aux pratiques innovantes en milieu scolaire pour les professionnels en éducation, soit : les conseillers pédagogiques, psychoéducateurs et éducateurs spécialisés, psychologues scolaires, orthopédagogues, conseillers en orientation, travailleurs sociaux. Selon le type de profession et de rôle en éducation ces pratiques prennent des formes très diverses : approches d’intervention, nouvelles méthodes, programmes innovateurs, etc.

Pratiques innovantes pour les administrateurs

Ces pratiques administratives innovatrices peuvent se définir  comme l’ensemble des façons de faire associées à la mise en œuvre des politiques, des règles et des procédures (Legendre). Elles touchent plusieurs sphères de l’activité de gestion d’un établissement. Ces innovations peuvent concerner les changements dans le matériel, ceux qui complètent l’équipement scolaire (salle de classe, multimédia, nouveaux livres, etc.); les changements conceptuels qui portent sur les programmes et les méthodes de l’enseignement; les changements dans les relations interpersonnelles, dans les rôles et les relations réciproques des différents acteurs du milieu.

 Les étapes dans le processus d’innovation

Au niveau du processus, l’innovation peut se réaliser en trois phases : l’expérimentation pilote, les adaptations aux réalités du terrain et l’institutionnalisation ou sa généralisation. inspiré de (Brodin) (3).  En se référant au modèle d’Alter (1)   ces phases peuvent se traduire comme suit : 1) l’innovation est la traduction sociale d’une invention, première phase au point de départ du processus. L’invention peut être le fruit d’une émergence de la base, ou importée de l’extérieur ou imposée par une autorité; 2) la phase de l’appropriation se caractérise par une transformation, par la construction d’un sens nouveau, par une contextualisation, par un transfert de l’invention entre les acteurs; 3) l’institutionnalisation réduit l’incertitude et intègre les pratiques innovatrices dans les règles de l’organisation

Enfin, l’art de l’innovation consiste à adapter puis à faire adopter des réalités inventées, découvertes ou crées antérieurement. L’innovateur fait figure de passeur, de traducteur, adapte et traduit le nouveau pur en nouveauté recevable et applicable, il en assure la promotion et la diffusion. (Cros et Adamczewski) (12)

De la pratique innovante à la pratique exemplaire

Nous utilisons ici le terme pratique exemplaire pour référer au terme anglais Best practice. Qu’est-ce qu’on entend par pratique exemplaire»? C’est la référence à une pratique professionnelle qui est efficace, généralisable et qui s’appuie sur des résultats de recherche. Cette pratique peut avoir les caractéristiques d’une pratique innovante. Le  CSÉ (5)  fait un lien étroit entre innovation en éducation et l’interface entre  la recherche en éducation et les pratiques éducatives.

Pour qu’une pratique innovante devienne une  pratique exemplaire, elle doit être en lien avec la recherche et faire l’objet d’évaluation tant au niveau de son processus que de ses effets. Deux situations peuvent se produire à l’origine d’une pratique innovante et exemplaire.

De la pratique à la recherche

Ainsi, l’innovation pédagogique peut surgir de la pratique. C’est notamment le cas lorsqu’un enseignant rompt avec les méthodes pédagogiques traditionnelles qu’il expérimente de nouvelles façons d’enseigner et qu’il permet à d’autres enseignants d’en bénéficier. (CSÉ) (5) On parle ici d’une pratique innovante. Pour que cette nouvelle pratique devienne une pratique exemplaire, il faut y associer le processus de recherche et d’évaluation. L’innovateur praticien s’associe avec un chercheur afin d’appuyer cette nouvelle pratique par la théorisation, la vérification de ses effets et les conditions de généralisation.

 De la recherche à la pratique

L’innovation peut également émerger des résultats des recherches. C’est ce qui arrive lorsque des enseignants s’inspirent des résultats de la recherche pour modifier leurs pratiques. C’est ici le cas classique du transfert de connaissances. L’innovateur praticien s’associe avec un chercheur afin de raffiner cette pratique innovante. Ainsi, le rapprochement des univers de la recherche et de la pratique éducative peut, lui aussi, favoriser l’émergence de meilleures méthodes et, du même coup, stimuler l’innovation en éducation.

La capacité à innover suppose sans aucun doute la maîtrise des situations acquises, avec ce que cela implique de savoirs savants et de savoirs d’expérience, mais elle suppose tout autant un état d’esprit créatif et imaginatif. La formation à cet état d’esprit, passe avant tout par le sens de la prise d’initiatives, par une réflexion sur la pratique, éclairée à la fois par l’expérience des autres professionnels et par la référence aux théories disponibles. (Cros (9) et CSÉ (5) )

Références

(1) Alter (2000). Cité par Cros (2007). L’agir innovationnel. Entre créativité et formation. De Boeck.

(2) Béchard, (2001 cité par le CSÉ, 2006 p. 25.

(3) Brodin, É. (date non disponible). Innovation en éducation et innovation dans l’enseignement des langues : quels invariants? (Document inédit. Université Paris 3. France.

(4) Corneille Kazadi (2006). Les approches innovantes dans les manuels de mathématiques, Dans Loiselle, J., Lafortune, L. et Rousseau, N. *(2006). L’innovation en formation à l’enseignement. Presse de l’Université du Québec (Québec)

(5) Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) (2006). Rapport annuel sur l’état et les besoins de l’éducation (2004-2005). Le dialogue entre la recherche et la pratique en éducation : une clé pour la réussite. Québec.

(6) Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) (2000). Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation (1999-2000). Éducation et nouvelles technologies : Pour une intégration réussie dans l’enseignement et l’apprentissage. Québec.

(7) Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) (1995). Rapport annuel sur l’état et les besoins de l’éducation (1994-1995). La maîtrise du changement en éducation. Québec.

(8) Cros, F. (2007). L’agir innovationnel. Entre créativité et formation. De Boeck.

(9) Cros, F.  (26 mars 2002 -2) Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire. Rapport d’étape au ministre de l’éducation national.

(10) Cros, F. (novembre 2001-1)  L’innovation scolaire (Enseignants et Chercheurs – Synthèse et mise en débat – INRP -)

(11) Cros, F. (2001). Politiques de changement et pratiques de changement. Paris : INRP.

(12) Cros, F. et Adamczewski, G. (1996) cité dans Legendre, R. (2005) Dictionnaire de l’éducation. Gérin, Montréal. 3e édition.

(13) Cros, F. (date non disponible) Innovation en éducation et en formation. Sens et usage du mot. Rapport final. INNOVA. Observatoire européen des innovations en éducation. Document inédit.

(14) Génelot, D. (1992). Gérer dans la complexité. Paris : Insep éditions.

(15) Huberman, A.M. (1973). Comment s’opèrent les changements en éducation : contribution à l’étude le l’innovation. Expérience et innovation en éducation no. 4. Unesco : BIE

(16) Legendre, R. (2005). Dictionnaire de l’éducation. Gérin, Montréal. 3e édition.

(17) Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) (2005). Le renouveau pédagogique : Ce qui définit « le changement ». Québec.

(18) Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (2008). Les grandes mutations qui transforment l’éducation. Paris.

(19) Rogers, E. et  Shoemaker, F.F. (1971). Dans Savoie-Zajc, L. (1993) cité dans Legendre, R. (2005) Dictionnaire de l’éducation. Gérin, Montréal. 3e édition.

(20) Savoie-Zajc, L. (1993) cité dans Legendre, R. (2005) Dictionnaire de l’éducation. Gérin, Montréal. 3e édition

(21) Schon (1967 cité par Huberman, 1973). Comment s’opèrent les changements en éducation : contribution à l’étude le l’innovation. Expérience et innovation en éducation no. 4. Unesco : BIE

 

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