Réflexion profonde d’un intervenant

L’intervenant

(9 janvier 2020 Facebook)

Mon «Why » ou le « pourquoi » que je fais ce que je fais.

LE JOUR OÙ JE SUIS DEVENU INTERVENANT.

Je suis intervenant. Depuis 16 ans. Des fois avec des ados, d’autres fois avec des jeunes adultes, des fois avec des adultes. Garçons, filles, hommes, femmes, 14 à 66 ans. Je côtoie l’itinérance, la santé mentale, la criminalité.

Je jongle avec le système de la santé, des services sociaux, les prisons, la rue, les Dtox, les maisons d’hébergement, les familles. Je vois la violence conjugale, la drogue, la souffrance, la déchéance, la pharmacopée, l’isolement, les brisures de fonctionnement.

Techniquement, j’aide des gens à se défaire de leurs patterns en déployant une panoplie d’approches, de stratégies et de moyens d’intervention. Je conçois des plans d’intervention, j’écris des faits d’observations, je rédige des bilans de rencontres, je crée des outils cliniques et ce, dans le seul et unique but d’espérer que mon client/e adhère aux efforts que j’investis pour lui et par le fait même, s’en sorte.

Techniquement, j’établis un filet de sécurité afin de maximiser ses chances de réhabilitation, maximiser l’utilisation des ressources proposées, maximiser l’augmentation de l’estime de soi, maximiser les moyens dans « son coffre à outils » et ce, dans le seul et unique but qu’il s’autonomise à court-moyen-long terme.

Réalistement, je suis spectateur de la douleur, de l’impuissance, de la colère, de la désorganisation. Je suis la balance des choix commis par mon client/e, mais je ne peux jamais en comprendre la réelle pesée. Je suis l’outil instrumentalisé afin de rendre l’espoir possible. Mais je suis surtout le seul à croire aux milles et une tentatives d’un Être brisé, violenté, vulnérable, désespéré, perdu.

Je vois la poudre dans ses narines, ses jointures ensanglantées, son corps sali, ses yeux vident et son coeur meurtri. Je vois les larmes lorsqu’il se retrouve sans un sous le 1er du mois à midi, je vois la peur lorsqu’il attend son enfant pour la fin de semaine, je vois l’infériorité lorsqu’il se rend à son injection mensuel, mais surtout, je vois la tristesse dans son besoin de m’avoir à ses côtés.

Je l’avoue, des fois, je pleure. Des fois, je bois. Des fois, je crie. Des fois, je pousse de la fonte et des fois je cours plusieurs kilomètres. Ce n’est jamais assez. Parfois je fléchis les genoux, je m’enrage contre le système, j’écoute du Rise against ou du Bullet for my valentine, je suis maussade, je m’endors à 5h am. Mais la plupart des fois, j’accepte.

J’accepte que la misère existe, j’accepte que la dimension inter-générationnelle maintienne la vulnérabilité, j’accepte que le système soit conçu pour les adaptés. Je m’avoue vaincu quand je constate que mes choix ne sont pas les siens, quand mes motivations ne sont pas les siennes, quand ma vision n’est pas la bonne.

J’accepte aussi qu’il y a des gens qui ne s’en sortiront jamais, qu’il existe des blessures si profondes que mêmes les abysses n’y accèdent pas et surtout, j’accepte que la vie fasse ce qu’elle a à faire. Je m’avoue vaincu quand je constate que je ne peux trouver de solutions, quand j’ai épuisé mon bagage de connaissances, quand je me sens en envahi par des émotions qui ne sont pas les miennes.

Parfois, je me demande jusqu’où un Être humain peut continuer à souffrir. Comment peut-il faire pour encaisser tant d’échecs et ce, en pataugeant dans la grande misère?

Parfois, je me demande d’où vient cette force, cette résilience, ce courage lui permettant d’avancer, tête baissée, dans une vie sans mode d’emploi. Comment peut-il caresser, ou prier, l’espoir d’un avenir ponctué de réussites, ou tout au plus, de meilleurs?

Je vois la tristesse dans son besoin de m’avoir à ses côtés. Mais au travers cette tristesse, je vois aussi l’espoir dans ses yeux. Je comprends qu’avec moi, il jongle moins au travers le cirque de sa vie. Je comprends qu’avec moi, son mois sans un sou se passera sans être saoûl. Je comprends aussi qu’avec moi, sa fin de semaine avec son enfant est effrayante, mais sans violence, lorsqu’il entendra mes paroles avant de lever la main. Je comprends qu’avec moi, il va moins pleurer les jours suivants son injection mensuel.

Je comprends que le lien de confiance est à la base de toute relation saine et aidante. Être intervenant, c’est d’accepter le pouvoir du lien de confiance. Être intervenant, c’est d’accepter d’être en confiance. Être intervenant, c’est d’accepter d’être.

Je suis intervenant.

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