Un texte de ma professeure d’écriture: Christiane Asselin (17-06-2018)
Vendredi midi, je suis arrêtée, comme ça, parce que mon cœur s’ennuyait d’elle, voir ma petite sœur d’adoption. Il faisait beau. Elle m’a accueillie avec ses grands bras. De véritables locomotives d’amour, ses bras.
Nous nous sommes assises, en plein soleil. J’allais lui porter un présent, juste parce que j’aimais à la fois le cadeau et mon amie… Juste parce qu’elle est toujours là. Juste parce que nous nous disons les vraies affaires, elle et moi. Nous n’avons pas mis ces moments de grâce sur Facebook. Vous comprenez, on les voulait pour nous. Égoïstement ? Je ne sais pas. Mais on les désirait pour nous
Assises au beau soleil, nous avons échangé. Vous saisissez, le véritable verbe : ÉCHANGER ? Elle ne préparait pas ses réponses pendant que je parlais. Absorbée, aimante, elle écoutait. Je ne pensais pas non plus à mes réparties quand elle se confiait. J’étais attentive, intéressée. Non, nous n’avons jamais eu l’idée d’immortaliser ces moments de bonheur simple sur Facebook. Voyez-vous, nous les aurions perdus, il me semble. Ils n’étaient qu’à nous. Et moi, je suis jalouse de ces instants de plénitude. Les diffuser, c’est les diluer. Vous comprenez ?
Nous avons passé deux heures en toute intimité, bouteille d’eau fraîche à la main. Seules au monde. À deux. C’est un privilège, vous savez, être deux. Ce n’est pas une course à la photo ni à la dispersion. Mais peut-être suis-je trop pudique. Mes moments de complétude, je les veux dans ma mémoire. Je refuse de les partager.
Or, lorsque je remarque tant d’images de repas, de promenades amoureuses et de clichés sur Facebook, je suis toujours extrêmement mal à l’aise. C’est comme si j’entrais dans une chambre nuptiale. Et je ne saisis plus où se situe la frontière, entre le privé — et par là, l’unique — et ce que nous « postons » sur les divers liens sociaux.
Il me semble qu’il fait bon ne pas tout lire sur tous, ne pas tout dire à tous, ne pas tout voir, de tous. Il me semble qu’il faut savoir se préserver un coin secret, celui de l’amour, celui de l’amitié. Il me semble, en fait, que certaines épiphanies nous appartiennent beaucoup plus si nous ne les surmultiplions pas. Elles restent en nous, chaudes, ancrées en nos mémoires et impérissables.
Et… si un jour notre vie nous fait l’odieux cadeau piégé qu’est la maladie d’Alzheimer, à quoi cela nous aura-t-il servi de l’avoir étalée sur les liens sociaux ? Nous ne saurons même plus comment les utiliser !