Ce merveilleux texte sur la Covid est de Louise Rioux (Trois-Rivières)
Elle est arrivée. La Bascule. Me voilà, condamnée à la réclusion ou presque. Je me promène incognito, comme prise en faute, un masque sur le visage, un béret calé jusqu’aux lunettes embuées par mon haleine humide. Je le supporte, du mieux que je le peux, son croc- en-jambe qui me terrasse. Je revendique ce qui me reste, ce qu’il me permet encore de faire à l’aube de ma décrépitude : une petite marche dans le quartier, une jasette avec mes voisins, une sortie à l’épicerie ou à la pharmacie, de rares visites dans les magasins où je calcule la distance qui me sépare de l’autre client. Le VIRUS qui gâche tout. Il vise tout le monde, se cache partout; dans les livres à la librairie, sur les boites de conserves à l’épicerie, sur les poignées de portes des maisons, dans l’air atomisé par les gens contaminés qui ne le savent pas encore.
Mais il ne m’a pas encore tout enlevé. J’innove. J’ai remplacé mes vieux amis par de nouveaux : le pharmacien qui sait si bien calmer mes angoisses, le physiothérapeute qui soigne mon dos et le téléphone qui écoute mes « bla, bla, bla » pendant de longues heures. De plus en plus silencieux, mon téléphone! Il n’a plus grand-chose à dire, la routine des confinés s’est installée. Chacun vaque à ses petites affaires : le menu du jour, les factures à acquitter, la télé, les médias… Le temps passe vite, dit-on, mais il faut le passer. Ce temps perdu qui ne reviendra plus. Si précieux.
Avant la vieillesse, avant la marchette, je me proposais encore Paris et ses musées, Vienne, ses « Sacher-tortes », le Belvédère et Klimt, la vallée de la Loire et ses châteaux. D’autres plaisirs plus modestes aussi : les plages de sable doré dans le Sud en bonne compagnie, la Gaspésie en tournée. Oui, j’avais de beaux projets à ma mesure. Mais le virus s’est invité pour longtemps parait-il, semant plein d’embûches sur mes projets. Mes cheveux grisonnent, même mon premier ministre a les sourcils tout gris. Je perds la forme doucement, à trop me bercer. La neige à pelleter, mon perron à déglacer… je regarde ailleurs pour ne pas les affronter.
J’ai donc décidé de cultiver les plaisirs des vieux; en sirotant un petit Brandy, je regarde de vieilles photos, j’écoute la musique de mon jeune temps, je pense à mes amours et à mes amitiés d’antan, je me revois, queue de cheval et crinoline au vent, sautillant sur un rock and roll endiablé ou valsant sur l’air de « Fascination » ( la seule danse que mon fiancé s’autorisait pour me faire plaisir. Il n’avait pas le rythme facile : Un, deux, trois, Un, deux, trois… ). La nostalgie du passé m’enchante. J’ai eu une belle vie.
Je songe à mes amis disparus et à tous ces gens qui ont marqué les arts, la politique, la littérature au Québec et ailleurs dans le monde. Il me reste leur pensée, leur œuvre. Ils font partie de ma famille au même titre que mes parents et mes proches. Je regarde les enfants, je les écoute rire et me réchauffe à leur lumière. La neige qui tombe doucement me rend l’âme poétique, les lumières de Noël me clignotent des clins d’œil et semblent me dire : « Tiens bon! au printemps, les lilas parfumeront ta cour, cet été, tes iris fleuriront tout-de-suite après tes pivoines, l’automne suivra, éclatera de couleurs…
Alors, comme Louis Armstrong, je me dis : « What a wonderful world! » Oh, Yeah.
Louise Roux, décembre 2020.