Mon autobiographie
Courte entrevue: d’élève doubleur au primaire à professeur chercheur universitaire
https://youtu.be/KNA1leBq3n8
Note: ce texte est un extrait de mon livre Comprendre l’apprentissage pour mieux éduquer. Une approche psychoéducative. (2015). Collection psychoéducatio. Béliveau éditeur (voir mes ouvrages).
Notre vision du monde comme adulte est grandement influencée par notre histoire personnelle, familiale et scolaire telle que vécue pendant l’enfance et l’adolescence. Également par les événements marquants de cette histoire. Je présente mon autobiographie afin que le lecteur puisse mieux comprendre ce qui a influencé ma vision du monde et plus spécifiquement de l’apprentissage.
Mon histoire familiale et scolaire
Cette histoire qui est la mienne ressemble à celle de plusieurs petits Québécois nés comme moi dans les années 1940. Une famille de trois enfants vivant la pauvreté (bénéficiaire du Bien-être social), avec un père qui ne travaillait pas et souffrait de problèmes de santé mentale. Une mère qui faisait son possible pour joindre les deux bouts et prendre soin de ses trois enfants. Le climat familial était lourd et très insécurisant, car aux prises avec de la violence conjugale (bagarres à la maison, crises, venue des policiers, etc.). J’étais le dernier-né de la famille et de santé plutôt fragile (anxiété, problèmes psychosomatiques), ce qui m’amenait fréquemment à m’absenter de l’école. Je comprends aujourd’hui que mes maux physiques (mal au ventre, à la tête, etc.) étaient des malaises d’anxiété et de stress.
Mes premières années à l’école ont été catastrophiques, pénibles et douloureuses. Je ne comprenais rien et me sentais seul et abandonné avec mes devoirs et leçons que je n’arrivais pas à faire adéquatement. Comble de malheur, à cette époque, au tournant des années 1950, les méthodes d’éducation demandaient de sévir si les élèves n’avaient pas fait leurs devoirs ou ne réussissaient pas lors de la récitation des leçons. Ainsi, pour moi, chaque lundi matin était un cauchemar puisque le professeur vérifiait les leçons et les devoirs et comme toujours, je ne comprenais rien, ce qui me faisait aboutir chez le frère responsable de la discipline. À cette époque, dans les écoles québécoises, l’insuccès était sanctionné par la « strappe » (10 à 20 coups vigoureux sur les mains de l’élève avec une courroie de cuir) afin d’encourager cet élève à mieux réussir. Faut croire que la méthode n’était pas efficace, car j’y retournais régulièrement avec ce sentiment d’impuissance et d’incapacité de mettre fin à cette torture.
À cette époque je me sentais complètement seul et impuissant devant toutes mes difficultés et mes souffrances. Je ne pouvais être aidé ni par ma mère ni par mon père. J’ai donc au cours de ces années du primaire doublé à deux reprises, soit en première et en sixième année. J’étais donc, à cette période de ma vie, un élève à risque d’échec scolaire. Heureusement, tout n’était pas négatif. J’avais quelques facteurs de protection qui m’ont aidé à contrer les aspects nuisibles de mon environnement. L’un de ces facteurs de protection était un talent pour la gymnastique sportive. Un deuxième facteur positif fut ma relation significative avec un enseignant d’éducation physique. Cette relation significative aura plus tard pour moi des conséquences positives très importantes et orientera ma carrière universitaire.
Le passage à l’école secondaire fut pour moi très stimulant. C’est alors que, contrairement au primaire, j’ai commencé à aimer de plus en plus l’école et à réussir de mieux en mieux. Plus je réussissais et plus j’aimais l’école. Je suis devenu graduellement un élève performant, studieux et responsable. Cette expérience positive au secondaire m’a ouvert la porte d’un long cheminement d’études universitaires.
L’étape suivant mes études secondaire fut mon intégration à Boscoville, centre de rééducation pour adolescents délinquants, et le début de deux formations universitaires, en éducation physique et en psychoéducation.
L’éducation physique, le sport et Boscoville
L’éducation physique a été très importante dans le développement de ma carrière de psychoéducateur et d’universitaire. Principalement à Boscoville, où j’ai été éducateur sportif et par la suite coordonnateur de l’ensemble du programme d’éducation physique et sports. Ce qui m’a conduit à l’éducation physique, c’est la pratique de la gymnastique de compétition lorsque j’étais à l’école primaire et secondaire à Verdun (Montréal). Une influence marquante dans ma vie de jeune adolescent et de jeune adulte fut celle de Raymond Gagnier, éducateur physique à Verdun, qui fut un « éducateur » de grande qualité et m’a servi de modèle. C’est par Raymond Gagnier, qui était aussi éducateur physique à Boscoville, que je me suis orienté vers la psychoéducation en allant travailler à Boscoville. La gymnastique quant à elle m’a permis de développer la persévérance, de répéter des centaines de fois des mouvements acrobatiques jusqu’au succès en passant par de nombreux échecs. Cette persévérance m’a servi toute ma vie durant. De plus, me produire devant un public, compétitionner, être évalué par des juges, surmonter mes peurs me préparait à une carrière de professeur- chercheur universitaire.
Mon expérience de psychoéducateur et d’éducateur physique à Boscoville fut des plus importantes dans l’établissement des bases de ma vision de l’être l’humain. Boscoville était un modèle en rééducation d’adolescents délinquants durant les années 1960 et 1970 et je faisais partie de la grande équipe qui avait la chance de vivre cette expérience unique. Un milieu d’expérimentation, alliant la théorie et la pratique, l’université et les praticiens. Un milieu éducatif par excellence pour des adolescents. Un milieu qui offrait une éducation et une rééducation complètes, par l’entremise, entre autres, d’activités physiques et sportives, culturelles, scolaires. Cette expérience était influencée par la psychoéducation et Gilles Gendreau.
La psychoéducation et Gilles Gendreau
Il est difficile pour moi de séparer l’influence de la psychoéducation de celle de Gilles Gendreau. J’ai été directement en contact avec lui durant plus de 20 ans (1960-1980), Boscoville, au Centre de psychoéducation du Québec (CPÉQ) et à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, à la fois comme étudiant et comme jeune professeur.
Pour moi, la psychoéducation était et est encore principalement, comme son nom l’indique, une intégration des sciences de la psychologie et de l’éducation pour venir en aide aux personnes en difficulté d’adaptation. De plus, dans mon cas s’ajoutait l’éducation physique et le sport comme outil thérapeutique.
Être psychoéducateur est avant tout être éducateur, au sens le plus profond du terme. Une psychologue clinicien qui agit sur le terrain, un psychopédagogue qui aide à faire apprendre ceux qui n’y arrivent pas, qui accompagne la personne en difficulté à se reconstruire, à s’adapter. Un professionnel qui développe, adapte des situations d’apprentissage et un environnement qui favorise le développement global de la personne. Les principaux outils de ce praticien clinicien sont sa personnalité, avec ses forces et ses vulnérabilités (comprises et maitrisées), l’observation, ses connaissances, sa maîtrise de l’activité psychoéducative utilisée comme outil de relation avec la personne en difficulté. Dans mon cas c’était l’éducation physique et le sport.
Dans cette expérience de la psychoéducation, je découvrais l’importance de l’apprentissage dans le processus d’adaptation de la personne en difficulté. Que pour favoriser cet apprentissage, l’on devait tenir compte du potentiel de l’apprenant et des défis que pouvait représenter l’objet d’apprentissage. Sans oublier la motivation à apprendre qui pouvait être favorisée en suscitant l’activité de la personne apprenante. Ce processus d’apprentissage devait se réaliser dans un équilibre entre la participation de l’éducateur et celle de la personne en situation d’aide.
L’influence de la psychoéducation sur ma personne passe par celle de Gilles Gendreau, qui fut pour moi un modèle d’engagement et de fidélité dans ses valeurs. Cet homme avait une grande croyance dans les capacités de l’être humain le plus démuni de pouvoir progresser, de pouvoir s’en sortir. Il était un grand pédagogue, un chercheur qui ne se prenait pas pour un chercheur, mais qui savait faire le lien entre la théorie et la pratique, qui faisait du transfert de connaissances avant même que ce concept soit inventé.
Ma vision du monde se construisait, entre autres, par mes expériences de travail à Boscoville, en psychoéducation en travaillant avec Gilles Gendreau, et par mes formations universitaires.
Mes formations universitaires et leurs influences
Trois formations universitaires ont influencé le développement de ma vision du monde et ont contribué, en partie, au développement de ce que je suis devenu : l’éducation physique au niveau du baccalauréat, la psychoéducation au baccalauréat et à la maîtrise et le doctorat en éducation, plus précisément en psychopédagogie.
Formation universitaire en éducation physique
C’était ma première expérience de formation universitaire à l’École d’hygiène de l’université de Montréal et c’était en quelque sorte une prolongation de mon expérience en gymnastique sportive. J’étais surtout attiré par la façon d’apprendre et d’enseigner le sport. Les exercices éducatifs, les étapes de l’apprentissage, les techniques m’intéressaient. C’est en éducation physique que mes premiers contacts avec la science et la recherche ont eu lieu, dans les cours d’anatomie, de physiologie et de tests et mesures. J’étais stimulé par la rigueur, la précision de ces tests sur les capacités et les habiletés physiques, fasciné par les standards et la référence à des tables précises de normes validées. Cette période de formation correspondait à mon intégration à Boscoville et à une autre formation universitaire, la psychoéducation. L’éducation physique est devenue pour moi un outil de rééducation par le sport et également un lien avec une autre discipline complémentaire, la psychomotricité.
Ce que je retiens principalement de ma formation en éducation physique, ou ce qui m’a le plus intéressé et marqué, c’est la pédagogie, c’est-à-dire comment on enseigne et comment on apprend les mouvements et les techniques, comment on mesure et évalue les capacités physiques, les habiletés. Également, toute la question de l’apprentissage.
Formation universitaire en psychoéducation
Parallèlement à ma formation en éducation physique, je réalisais une formation de premier cycle en psychoéducation. Mise à part l’influence très importante de Gilles Gendreau et de Jeannine Guindon, tous deux professeurs universitaires en psychoéducation, deux auteurs de base à la formation m’ont marqué, Jean Piaget et Erick Erickson.
Les travaux de Piaget ont grandement influencé la psychoéducation. Tout d’abord par le fait que Gilles Gendreau, cofondateur de la psychoéducation, a suivi les cours de Jean Piaget à l’université de Genève en Suisse durant les années 1950. De son côté, Jeannine Guindon, cofondatrice de la psychoéducation, a également intégré dans ses enseignements certains concepts fondamentaux de Piaget. Gendreau et Guindon étaient tous deux motivés par la rééducation et l’apprentissage. Les travaux de Piaget étaient tout indiqués puisque celui-ci cherchait avant tout à savoir comment s’acquiert la connaissance, comment se construit l’adaptation (l’apprentissage), quels en sont les lois et les processus. Pour ce faire, Piaget va observer les enfants (ses enfants) dans leur développement, dans leurs apprentissages. Il va découvrir que les enfants se développent et apprennent en étant actifs et en construisant le monde qui les entoure, et ce, par un processus interactif et par étapes. Piaget accordait beaucoup d’importance à la prise en charge de l’apprentissage par le sujet. Il a utilisé l’observation comme outil de recherche ; la psychoéducation en a fait l’instrument de base de l’acte professionnel du psychoéducateur.
Je retiens de Piaget et des enseignements de Gendreau sur cette théorie des concepts fondamentaux, comme les concepts d’assimilation, d’accommodation et d’adaptation, qui ont été des fondements du modèle psychoéducatif développé par Gendreau. Ces concepts sont au cœur de l’apprentissage, de la pédagogie, de l’intervention psychoéducative.
Pour leur part, les travaux de d’Erickson en psychologie du développement et de la personnalité ont grandement influencé la psychoéducation par l’entremise surtout de Guindon. Erickson nous a fait découvrir que la personnalité se développe par étapes successives qui s’influencent l’une après l’autre tout au long de notre vie. Au tout début du développement, la relation mère-enfant et l’environnement de sécurité sont fondamentaux.
Ce que je retiens principalement de la théorie d’Erickson, c’est l’importance des expériences en bas âge, qui permettent de construire les fondements de la personnalité (le développement de la confiance, de l’autonomie, etc.)
Ma deuxième étape de formation en psychoéducation fut celle de la maîtrise. J’ai acquis des connaissances en psychopathologie avec le Dr. Michel Lemay, pédopsychiatre. Je me suis familiarisé avec diverses approches psychothérapeutiques, dont l’approche béhaviorale, et j’ai reçu une formation en recherche auprès de Richard E. Tremblay, jeune professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal.
Ma décision de m’orienter vers une carrière universitaire en psychoéducation exigeait que je m’engage dans un processus de formation en recherche au doctorat.
Formation universitaire au doctorat en psychopédagogie
Cette formation au doctorat s’est réalisée en psychopédagogie à l’Université Laval sous la direction d’Aimée Leduc. Cette formation a porté principalement sur l’enseignement et l’apprentissage, par l’étude de la théorie du traitement de l’information (approche cognitiviste) de Gagné ; en ce qui concerne la recherche, l’approche méthodologique de type expérimental, très classique, était inspirée de la culture de la recherche en psychologie (Aimée Leduc était psychologue de formation et orthopédagogue). J’en retiens la rigueur du processus de recherche qui influencera mes travaux tout au long de ma carrière universitaire.
L’autre volet très important de cette formation doctorale est celle de la théorie du béhaviorisme social d’Arthur Staats. Cette théorie psychologique de l’apprentissage met l’accent sur les diverses formes de conditionnement. J’y ai puisé un champ de connaissances très important, particulièrement au niveau de la psychologie sociale et d’une théorie des attitudes.
La recherche universitaire et son influence
Mon premier contact avec la recherche fut dans le cadre d’un cours synthèse de Gilles Gendreau au baccalauréat en psychoéducation. J’ai alors réalisé une étude sur les jeux acrobatiques effectués par quatre adolescents de Boscoville. C’était en quelque sort une recherche en « laboratoire », mais à l’époque sans formation en méthodologie de recherche. C’est à la maîtrise en psychoéducation, sous la direction de Richard Tremblay, que je fus vraiment formé à la recherche scientifique. Ce fut ma première initiation aux statistiques et à la rigueur de la recherche. Enfin, ma formation au doctorat en recherche expérimentale avec comme cadre de référence le Béhaviorisme social.
La recherche a été au cœur de ma carrière professionnelle et bien entendu a influencé ma vision du monde. Elle m’a permis de développer des méthodes variées pour acquérir de nouvelles connaissances en éducation, en psychologie et en psychoéducation.
Durant ma carrière universitaire, l’une de mes grandes satisfactions a été ma relation avec mes étudiantes et étudiants à la maîtrise et au doctorat comme directeurs de leur mémoires, essais, rapports de recherche ou de stage ou comme directeur de leur thèse de doctorat. Plusieurs étudiantes ont été mes assistantes de recherche. À travers leurs recherches et le partage d’une relation humaine proche et chaleureuse, j’ai appris énormément.
Mes expériences en psychothérapie et leur influence
Tout au long de mon cheminement de vie, j’ai eu la chance de profiter de démarches de psychothérapie. Au tout départ, notre formation en psychoéducation exigeait que nous nous engagions dans une telle démarche dans le but de mieux nous connaitre et ainsi de pouvoir devenir de meilleurs éducateurs. Par la suite, j’ai utilisé ce moyen à différentes occasions de ma vie pour mieux gérer les différentes situations de vie.
Je retiens de ces nombreuses démarches de psychothérapie des occasions de mieux connaitre mon histoire familiale et ses répercussions sur mes façons de m’adapter, de gérer le stress, d’être en relation dans ma vie de couple, d’être parent, etc.
Le journal personnel
En complémentarité avec mes expériences en psychothérapie, j’ai, depuis l’âge de 20 ans, toujours tenu un journal personnel qui me permet de réfléchir sur mon vécu. C’est un outil très précieux qui me permet, dans une activité de réflexion et d’évaluation, d’exprimer ce que je vis et d’évaluer les moyens que je prends pour m’adapter aux différentes situations de vie.
Conclusion
Faire le tour d’horizon de ce qui a contribué à influencer ma vision du monde reste limité et ne permet pas de toucher à tous les aspects de mon vécu. À titre d’exemple, je n’ai pas abordé l’influence certaine de ma vie de couple et de ma famille proche sur la construction de ma vision du monde. Par pudeur et respect pour mes proches, cet aspect de ma vie reste privé.
Mon histoire familiale difficile et mon histoire scolaire au primaire marquée par les échecs, l’impuissance et la violence ont donné une orientation importante à ma sensibilité et m’ont porté à venir en aide aux personnes en difficulté.
Mes mentors — Raymond Gagnier, éducateur physique et coach en gymnastique sportive, de même que Gilles Gendreau à Boscoville et en psychoéducation — ont, chacun à leur façon, joué un rôle de protection, de modèle d’homme et de père. Ils ont chacun orienté mon choix de carrière professionnelle et la façon de l’exercer.